« Exit, voice and loyalty », abstention et « populisme »
Partir, prendre la parole ou être loyal, voilà les alternatives en régime démocratique réel. Ce trio de réactions possibles à la situation des citoyens et des gens dans un univers socio économique et politique donné peut nous aider à expliquer les phénomènes d’abstention électorale (plus votes blancs et nuls), la montée des révoltes sociales, muettes ou actives, la progression des partis démagogiques et les attitudes des classes sociales vis-à-vis de la politique en démocrassie libérale. En anglais, c’est le titre d’un livre célèbre et génial d’Albert O. Hirschmann.
Dans le système libéralo-capitaliste actuel (SLC), voté et cogéré par les politicards élus, qu’ils soient de droite ou de « gôche », qui a intérêt à être loyal, à l’aider, à le conforter, à réélire des tenants de son extension à un pays comme la France, à sa propagation dans le monde entier ? Qui vote pour son maintien, qui soutient les politicards qui l’aide à se renforcer? La réponse a été implicitement donnée par le « think tank » socialo Terra Nova qui avait proposé au PS de « changer de peuple » ainsi que l’avait dit Bertold Brecht: au lieu du populo ouvrier crasseux, « sans-dents », tas de « moins que rien » et « d’illettrés », raciste, réactionnaire, votant FN, attaché à ses privilèges ou « acquis » (lire les bouquins de Walter de Closets), sans qualification, inapte à la « concurrence libre et non faussée le PS devait attirer les « bobos », les artistes, les communautés gays, les immigrés (marche des Beurs, touche pas à mon pote) tous à la recherche d’évolutions sociétales permettant le règne de la liberté de tout faire, le primat de l’individu, l’idéologie droitdel’hommiste. En gros, Terra Nova constatait la diversité et la pluralité sociologique du pays et entendait s’appuyer sur ses franges les plus modernistes qu’il suffisait de rassembler pour former une majorité électorale (tout en faisant monter le FN, stratégie perverse de Tonton, afin de gagner des triangulaires, la majorité directe étant impossible sans cela). Simple constat car Terra Nova n’analysait nullement les raisons profondes de cette coupure entre les tranches « progressistes » de la société et celles qui se repliaient sur la défense de leur maigre pré carré. Ce n’est pas un hasard car une analyse correcte des évolutions auraient montré que le repli sur le national, la demande de protection et de sécurité, le protectionnisme, l’attitude anti-immigration provenait de la « fracture sociale » amenée par la mise en place depuis 30 ans de politiques SLC. Cela aurait donc fait apparaître clairement que le PS avait tout fait pour installer le SLC en Europe et pour le libre-échange mondialisé; le PS se serait désigné lui-même comme responsable des dégâts du SLC: pauvreté, inégalités, précarité, désindustrialisation, déclin accéléré de l’agriculture française, primauté de la finance folle de casino. Les loyaux sont tous ceux qui profitent du SLC. Ils sont assistés par tous ceux qui voient dans ce système l’occasion de faire valoir leurs intérêts individuels et communautaristes. Ce qui faut que la « modernisation » sociétale des moeurs a pour effet d’accroître la division du corps social. Et c’est tant mieux pour le SLC qui se nourrit des divisions et conflits et pour les communautaristes qui se créent des soutiens en faisant la charité aux exclus de leur propre paroisse.
Le groupe de ceux qui restent dans le système (voice) et entendent y améliorer leur position est hétéroclite et instable. Il y a ceux, hélas nombreux, qui pensent qu’il n’y a pas d’autre système possible car le SLC est devenu dominant dans tous les domaines; cela renvoie au « TINA » de la dame de fer, repris en choeur par les excellences socialos. Il y a les partis de démagogues, généralement de droite, qui profitent des dégâts du SLC pour exprimer leur haine de l’autre et leur nationalisme réactionnaire. Il y a les communautés (par exemple, celle des gays) qui espèrent obtenir de nouvelles lois sociétales (GPA pour tous) en leur faveur; les minorités religieuses ou ethniques qui sont agitées par des entrepreneurs de religion (ou autre) qui veulent représenter leur communauté et obtenir des avantages comme la reconnaissance des moeurs d’icelle, les associations et autres ONG qui profitent de la misère du monde pour compenser les lacunes de l’Etat par une charité subventionnée. Il y a ce qui reste de gens organisés dans des syndicats ou des mouvements sociaux dont la mission autoproclamée disparaîtrait si le SLC s’évanouissait. Il y a les mécontents de tout poil qui évidemment n’existeraient pas si le système mourait. Toutes ces prises de parole se situent à l’intérieur dudit système et sont divisées, chacune ne luttant que pour ses intérêts particuliers au lieu de faire front contre l’ennemi commun au lieu de se fédérer. Il est vrai que le faire ferait disparaître leur raison d’être en cas de victoire contre celui-ci. D’où une leçon: s’exprimer dans le système, avec les petites armes qu’il laisse à ses opposants n’aboutit qu’à le faire perdurer. Il ne faut pas combattre dedans et contre mais en-dehors. C’est l’exit, la séparation.
Pour l’exit, il y a quatre grandes attitudes. On y trouve l’exil, dont l’exemple est la fuite fiscale des riches qui profitent de la course mondiale au moins-disant afin d’attirer des capitaux. L’exil est individuel, ce qui n’empêche pas que les exilés aient aussi leurs moyens de voice pour avoir une baisse de leur fiscalité. L’exil, c’est aussi l’émigration dont le ressort est la recherche de solutions individuelles par rapport à un contexte collectif dangereux (climat, guerres, pauvreté). On a le repli dans l’abstention aux élections (57 % d’abstentions et 10 % de blancs et nuls aux législatives maqueronesques, ce qui, du reste, délégitime complètement la chambre récemment élue); cela part du « plus rien à foutre » car voter ne fait que changer la population de pourris qui obtiennent l’assiette au beurre, les épinards et la crémière. On a le repli par soumission et résignation, par stigmatisation moralisatrice. C’est le cas en Doryphorie (15,7 % de pauvres, 6,6 millions de minijobs à 450 euros pour un temps partiel sans cotisations sociales [donc sans les droits afférents], 4,4 millions « d’assistés [très maigrement à 428 euros par mois], 9 % de travailleurs pauvres; le pouvoir compte sur l’accueil massif d’immigrés pour encore faire baisser le coût du travail; seul point positif en Fridolie: l’action, facile faute de naissances, pour le bas prix des loyers) où les pauvres se cachent car la morale luthérienne attribue leur insuccès à leur absence de mérite et de travail. On a aussi le repli sur l’action violente, ce qui profite au pouvoir qui la transforme en terrorisme, car cela qui permet d’accroître sans cesse la répression judiciaire et policière et car cela fait les choux gras du complexe militaro-politico-industrialo-sécuritaire. En fait, le pouvoir a besoin du terrorisme pour terroriser la population afin qu’elle se tienne tranquille et pour disposer d’une force répressive capable de tuer dans l’oeuf toute révolte. L’exil-repli-exit laisse intacte le SLC…
Il y a enfin et surtout le repli actif, l’action directe à côté et en dehors de la logique du SLC. Toute action organisée qui comporte une logique adverse est bienvenue: coopératives (des vraies), mutuelles, associations de solidarité et non de charité, monnaie parallèle de partage, bibliothèques et spectacles locaux, ateliers de réparation, AMAP, commerces de proximité, etc. est bonne à prendre. L’action doit être autonome et décentralisée; c’est la vieille leçon de l’anarcho-syndicalisme. Pour faire mordre la poussière au SLC, deux angles d’attaque sont à privilégier: mettre son fric disponible dans une lessiveuse ou, surtout, le consacre à la création de structures anticapitalistes comme des petits ateliers de réparation des objets, des productions de qualité, en bio, etc. Diminuer au maximum la consommation qui tient tout le monde dans une logique qui conforte le système; pour acheter, il faut un salaire et pour cela il faut un boulot. En outre, il est impératif que tous les acteurs de ces actes contre capitalistes, se fédèrent et s’organisent aux différents échelons territoriaux. D’où l’abandon de la logique syndicale traditionnelle: lutte pour l’emploi et le salaire et les avantages salariaux, ce qui, naturellement, maintient en fait le système. Sauf que cette stratégie ne fonctionne plus puisque le patronat peut travailler avec un extérieur mondialisé en concurrence sauvage pour tout faire baisser.